Et voilà une sélection des derniers textes de l’année.
Le premier thème s’inspirait du recueil Geste, de Michelle Grangaud, soit 1000 narrations de 5/5/11 syllabes qui décrivent l’infra-ordinaire à raison d’un geste par phrase et d’une phrase par geste.
Geste
J’ouvre le maudit mail :
« Oops ! Vol annulé !
Pour Boston, allez d’abord vous perdre au Sud ».
J’ouvre le mail suivant.
« Your bag’s lost somewhere ».
Il voulait voyager vers de plus chaudes contrées !
J’ouvre l’œil fatigué,
L’autre somnole encore,
Est-il tôt ? Est-il tard ? Rendors-toi bien vite.
J’ouvre la porte d’entrée :
« Here comes your bag, Miss !
Sorry for the trouble ! Happy Holidays ! ».
Françoise de Caluire
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Elle met un drapeau
pour foot tricolore
et attend avec extase le buteur.
Il met son drapeau
national, ce soir
son pays perd, bof, les enfants sourient.
Elle se dit « ma foi ».
Il est mort, bien mort.
Alors, je bois, je bois à ma vie future.
Inauguration
par intense froid
d’une maison pour les femmes de courage.
Yeux bleus, cheveux noirs,
sourit à sa blonde.
» Je t’aime » disent-ils sous l’arbre décoré.
Admiré partout
tu fixes le ciel
et imagines ton oeuvre en cours.
Geneviève, Caluire
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Si j’étais…
Si j’étais un chemin, je serais celui qui sent la noisette.
Si j’étais un tissu, je serais de la mousseline de soie pour m’élever au moindre souffle.
Si j’étais une couleur, je serais turquoise pour me fondre dans l’océan Pacifique.
Si j’étais un sourire, je serais celui de Suzanne Flon dans le film « La tête en friche ».
Si j’étais un mot, je serais ’’dictionnaire ’’. Pourquoi se priver ?
Si j’étais un clochard céleste, je ne serais pas, je suis trop terrestre.
Si j’étais un ciel, je serais celui qui invite les aurores boréales là-haut où il fait si froid.
Si j’étais l’infini, je serais tésimale, pour qu’on ne me trouve pas.
Si j’étais un cri, je serais celui du nouveau-né pour tout recommencer.
Si j’étais le dernier jour du reste de ma vie, je serais un jeudi puisque je suis née un vendredi. La boucle de ma vie serait ainsi bouclée !
Catherine – Lyon 5ème
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Si j’étais un chemin, je serais ombragé, peu fréquenté et très fleuri
Si j’étais un tissu, je serais utilisé grâce à ma délicatesse et à ma transparence pour envelopper les douceurs féminines
Si j’étais une couleur, je serais vive, éblouissante, très chaleureuse, rouge pour inspirer la passion
Si j’étais un sourire, je serais spontané et très contagieux pour me répandre partout
Si j’étais un mot, je serais court, concis, ayant un sens très précis pour être utilisé à bon escient
Si j’étais un clochard céleste, je me déplacerais en chantant parmi les nuages pour les séduire
Si j’étais un ciel, je serais coloré et tourmenté, pour inciter les peintres à la recherche d’émotions visuelles à me reproduire sur leurs toiles
Si j’étais l’infini, je serais partie intégrante de l’univers scientifique et mathématique et ne serais jamais atteint
Si j’étais un cri, je serais puissant, j’incarnerais l’espoir, le plaisir, la joie de vivre et l’émerveillement
Si j’étais le dernier jour du reste de ma vie, je serais à la recherche de la sérénité parfaite pour me préparer au grand voyage…
Jacques de Chaponost
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Si j’étais un chemin, je partirais de moi, ferais le tour de mes problèmes, puis élèverais mes pensées pour tenter de m’évader de la prison mutique où je suis enfermé.
Si j’étais un tissu, je serais un foulard, celui que l’on ôte dans les rues de Téhéran pour couper ses cheveux et narguer les Ayatollahs.
Si j’étais une couleur, je serais le bleu dont sont peints les yeux dans les tableaux de Michel Ange.
Si j’étais un sourire, je serais sur les lèvres de la Joconde pour remercier de Vinci pour mon immortalité.
Si j’étais un mot, je serais RENOUVEAU pour effacer ma vie et renaître encore et encore avant que de mourir.
Si j’étais un clochard céleste, je frapperais à la porte du purgatoire pour avoir un peu chaud en évitant l’enfer.
Si j’étais un ciel je serais celui des nuits du désert de Namib avec la Croix du Sud pour guider mon chemin.
Si j’étais l’infini, je ne serais quand même, au mieux, qu’une infime partie de moi-même.
Si j’étais un cri, je serais mon premier vagissement au sortir de ma mère.
Si j’étais le dernier jour du reste de ma vie, je serais à la veille de savoir enfin si j’existe.
Philippe, Lyon 1er
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La belle au bois dormant dort-elle vraiment ?
Des bruits de pas réveillèrent la princesse. Elle avait encore un peu sommeil, aussi elle décida de garder les yeux fermés de telle sorte qu’elle pourrait voir qui allait entrer. Certainement la petite servante qui lui apportait son petit déjeuner ?
Mais pourquoi celle-ci portait-elle des bottes qui faisaient tant de bruit ?
Un homme entre dans la pièce. Il était grand, carré, son visage rond, ses yeux marron foncés. Il se tenait très droit. Quelque chose, dans ses yeux, déplut à la princesse.
Soudain, elle réfléchit et tente de se rappeler de la journée de la veille. Elle avait trouvé cet étrange objet pour faire de la laine. Elle s’était piquée.
Puis plus rien….
Le chevalier la regardait, il admirait son visage. Son petit nez fin, ses jolies lèvres roses, ses petites pommettes. Et ses longs cheveux blonds qui semblaient éclairer son joli petit visage.
A coup sûr, elle charmera la cour quand elle siégera à ses côtés quand il deviendra roi.
La jolie princesse fut agacée en lisant le contentement sur le visage du prince. Elle voyait le cheminement de ses pensées sur son visage…
Elle commença à ronfler tout doucement d’abord puis de plus en plus fort. Le prince, qui avait fait un pas dans sa direction, s’arrêta net, surpris.
Maintenant, la princesse émettait des petits grognements qui ressemblaient aux cris d’un petit cochon.
Le prince recula d’un pas.
Et si l’apparence de la jeune fille, si belle, cachait une voix horrible ?
La belle jeune fille se retint de rire. Elle avait cerné, à travers ses cils, l’hésitation du prince.
Pourvu qu’il parte, se dit-elle. Il ne me plaît pas du tout ! Il est trop sérieux et content de lui. Je préfèrerais plutôt quelqu’un de drôle, et qui aime chanter, écouter de la musique, danser…
Finalement, il n’aime que ma beauté ! se dit-elle, désappointée.
En fin de compte, déçu, le prince quitte la pièce en faisant le moins de bruit possible. Il se voyait mal dormir auprès d’un petit cochon, même s’il était si joli !
La princesse attendit un peu puis éclata d’un grand rire joyeux.
Christine de Villeurbanne
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…. La Princesse émergeait doucement de sa léthargie. Le chant d’un rossignol l’avait doucement réveillée. Elle s’apprêtait à se soulever de son séant lorsqu’une vision la stoppa net dans son action. Elle revit la méchante femme qui le jour de son baptême avait prédit qu’un Prince charmant la sortirait de l’enfance par un baiser. Elle revoyait aussi ce bel écuyer qui l’avait reçue dans ses bras lorsqu’ayant voulu découvrir un lieu isolé du manoir où elle résidait avec sa famille elle fût piquée par une douleur foudroyante au creux de son intimité. Elle perdit connaissance et tomba dans un coma profond.
Après un temps, qui parut une éternité à son père, elle ouvrait les yeux. Elle les referma aussitôt. Jamais elle ne consentirait à offrir sa jeunesse virginale à un inconnu choisi par son père.
Chaque matin elle entendait le champ du rossignol et son charme opérait. Elle était bien décidée à déjouer et dénouer les fils qui l’enlaçaient et la retenaient prisonnière.
Chaque jour son père venait la voir et un matin elle sentit qu’il n’était pas seul. Une voix jeune répondait à la voix mature de son géniteur.
– Elle va avoir seize ans il est temps mon garçon que tu réalises les vœux les plus chers de nos familles : Unir nos deux noms dans un seul patronyme et leur donner un héritier
– C’est aussi mon vœu le plus cher.
La « Princesse », comme tout le monde se plaisait à la nommer tant elle était belle, frémit d’appréhension. Mais elle devait demeurer stoïque, ne pas laisser voir qu’elle était éveillée.
Un jour alors que le jour pointait à peine à l’horizon la Princesse eut la sensation d’une présence. Elle laissa son regard entrouvrir ses paupières et vit son promis tendre vers elle ses mains impatientes de la toucher. Elle l’entendit murmurer :
– Pourquoi attendre le jour de tes seize ans ma belle. Ton père est parti en tournée et te voilà à ma merci. Tu seras à moi aujourd’hui.
Comme chaque matin le rossignol se mit à chanter. Alors que le jeune homme s’apprêtait à accomplir son forfait l’oiseau cria si fort qu’il ameuta le manoir.
– Vas-tu te taire idiot lança le forfaitaire.
Il s’enfuit rapidement avant que n’arrive le personnel chargé de veiller sur la jeune demoiselle. Lorsque tout le monde fut rassuré, le rossignol chassé, voué aux griffes du chat qui le manqua de peu, le jardinier investi dans le rôle de garde du corps inspecta les parages. Ce jeune homme que la Princesse avait pris pour un écuyer tant elle le trouvait beau cultivait dans son jardin secret un doux sentiment pour cette belle demoiselle qu’il avait reçu dans ses bras avant qu’elle ne sombre dans le coma.
De retour de voyage son père averti de l’incident se rendit auprès de sa fille. Il la trouva éveillée, troublée. Après le bonheur de ce miracle, il s’enquit de sa santé. Alors la Princesse éclata en sanglots. Elle raconta tout à son papa. Celui-ci courroucé chassa le malotru sans le livrer aux griffes du chat qui pourtant aurait bien lacéré sa jolie gueule.
Tout le manoir fêta les seize ans de celle qu’il appelait « Princesse ».
L’histoire ne dit pas si le bel écuyer et la jeune demoiselle se marièrent et eurent beaucoup d’enfants car nous sommes au XXIème siècle et les filles ne croient plus au Prince pas toujours charmant.
Jacqueline la bretonne
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C’est le matin et Aurore refuse de se réveiller. La princesse en a assez qu’on lui dise : « Bon jour Aurore ! » ou « C’est l’aube, Aurore ». De plus, ses compagnons de jeu l’appellent « Horreur » pour la faire enrager. Oui, d’accord, de bonnes fées se sont penchées sur son berceau pour lui donner le plus charmant des minois et une voix sublime. Mais ça lui a valu d’être victime d’un sortilège et d’être plongée dans un profond sommeil. Seul le baiser d’un prince peut la réveiller.
Et si, en pleine crise de puberté, il a de l’acné et des boutons plein le visage. Et s’il a des aphtes, une haleine de chacal, des caries dentaires, un bec de lièvre ?
Non décidément, Aurore préfère ronfler longtemps avant d’émerger pour un Prince, un p’tit Lu ou un choco BN.
D’abord, comment on embrasse ? En ouvrant les lèvres, en tournant sa langue 7 fois dans la bouche ? Y a de quoi prendre peur quand on est une petite pucelle, d’Orléans ou d’ailleurs…
Et bien, voilà qu’après un siècle de roupillon, la princesse se fait embrasser par un vilain crapaud, qui n’était autre qu’un prince lui aussi victime d’un mauvais sort.
Or chacun sait que la bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe.
Du coup, comme disent les hobereaux d’aujourd’hui, ils ne purent vivre très heureux, ni se reproduire pour avoir beaucoup d’enfants.
Et pour une fois, un conte de fées se termina en queue de poisson
Jean-Yves, Montpellier
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Ce 8 brumaire de l’an IV, tous les serviteurs s’affairaient autour de la princesse. Elle s’était endormie il y a fort longtemps, cette jolie princesse très fleur bleue, le jour où son prince partit guerroyer. Et depuis quelques jours, dans les couloirs du château, on pouvait entendre des bruits de couloirs, justement, qui disaient que le prince serait de retour très prochainement.
Lorsque ce bruit parvint aux oreilles de la princesse, un mince sourire discret se dessina sur ses lèvres. Son visage s’illumina et elle retrouva la beauté de sa belle époque. Comme si les trente années écoulées n’avaient eu aucune prise sur elle.
Le 18 brumaire de l’an IV on sonna l’alerte dans tout le château. Un homme galopait en tenue rouge sur un animal de couleur brune.
– Prince ! Prince ! (pas de Lu, celui-là, celui du château !…)
Un homme le reconnut à sa cicatrice qui démarrait dans le coin de l’œil droit et lui barrait la joue. Cette cicatrice lui donnait un charme fou, un côté guerrier, héros de BD, bref, un vrai, un dur. Craquant et au cœur tendre. Et c’est ce qui avait fait succomber la plus belle princesse de la région, la belle au Bois Dormant, celle qui faisait frémir le cœur de tous les jeunes seigneurs des environs.
Tagada tagada tagada tagada…
Mais il fallait beaucoup de bonne volonté pour reconnaître le jeune homme parti guerroyer il y a trente années de cela. En effet, une longue barbe blanche recouvrait son visage, il avait perdu quelques dents à force de se nourrir de manière déséquilibrée et pris une bonne bedaine.
– Monseigneur ! lança un serviteur qui l’avait reconnu !
– Lancelot !?
– Oui Monseigneur ! Votre bien-aimée est dans sa chambre qu’elle n’a pas quittée depuis votre départ. Un psychanalyste pour contes a dit qu’elle était tombée en grande dépression et que c’était une manière de se protéger.
Mais déjà le prince ne l’écoutait plus et il courut jusqu’à la chambre de sa bien-aimée, qui rayonnait au pied de son lit… Le prince ouvrit doucement la porte après avoir gratouillé à trois reprises sur le verrou. C’était le signe de son prince ! Elle l’aurait reconnu entre mille autres.
Elle courut à la porte… et s’arrêta net lorsque celui qui passa la tête à travers la porte fut un gaillard aux joues et au ventre bien rebondis, vêtu d’un ridicule manteau rouge et blanc et d’un pantalon (ou plutôt pantacourt car bien court le pantalon !…) assorti.
La princesse ne tint pas 5 secondes à la vue de cet infâme bonhomme qui en plus sentait la transpiration et le… le renne ou quelque chose dans le genre.
Ne comprenant rien à ce qui lui arrivait, elle prit le parti de s’évanouir à nouveau pour un sommeil d’on ne sait combien de temps…
Il semblerait que depuis cette nuit-là, les petites filles ne croient plus au Père Noël…
Jocelyne de Brindas
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La belle au bois dormant dort-elle vraiment ou veut-elle juste échapper au prince pas si charmant ? Ou au contraire veut-elle ne pas le louper et fait-elle semblant de dormir à son approche ? Car le prince charmant largué au milieu des broussailles, filant ses chausses aux épines, perdant des plumes aux basses branches n’est pas venu chevaucher sous la pluie pour des clopinettes, ça se saurait… Pendant ce temps, la belle au bois dormant, allongée sur le divan de son psychanalyste se délecte :
– Monsieur, j’ai fait un rêve terrible : j’étais dans mon lit, endormie, quand soudain la fenêtre s’ouvrit en grand et que le prince apparut dans l’embrasure, la lune brillait dans son dos et ses yeux me fixaient, mi-figue, mi-raisin, mais plutôt figue si ma mémoire est bonne… Mon Dieu, j’ai cru, je pensais, j’espérais…. Monsieur le psychanalyste, qu’allait-il se passer à votre avis ?
– Je ne sais pas Princesse, c’est votre rêve !
La princesse fit la moue, bouda un peu et jugea nécessaire de se rendormir prudemment plutôt que d’affronter d’inavouables désirs. Elle hésita un peu, car elle savait qu’elle ronflait bruyamment et craignait de troubler le cours de l’histoire… Elle choisit cependant cette option, comptant sur le cercueil de verre pour amortir les sons. Hélas quelle erreur ! Les ronflements ne tardèrent pas et la bouche ouverte de la princesse favorisa rapidement une opaque buée sur les parois glacées. Notre prince finit bien par passer par-là, il aperçut bien le cercueil de verre mais trompé par ses idées préconçues et suffisantes, il le prit de loin pour une vulgaire serre à salade et ne songea même pas à s’en approcher… Il poursuivit sa route, fatigué, ayant légèrement perdu de sa verve. Où était donc cette maudite princesse pour laquelle il cavalcadait depuis des jours ? Il commençait à avoir un peu faim et se rappela cette serre de légumes dont il décida de s’approcher. La suite de l’histoire, vous la connaissez, et ce qu’il trouva, c’était une sacrée frisée, croyez-le !
Marie-Pierre, Beauvezer