Voyage immobile
à la manière du dernier livre de Philippe Delerm “New-York sans New-York”
SYRACUSE
J’aimerais tant voir Syracuse, voir s’il y a vraiment des goélands qui s’amusent sous le vent.
Ce n’est pas Delerm qui m’en a fait rêver, mais Salvador avec ses notes sucrées.
Syracuse, un endroit qui m’a très tôt parlé d’exotisme, où la vie est facile sous les palmiers, avec ces boissons légères qui vous grisent. Une île pleine d’enchantements, de mélodies planantes, de saveurs enivrantes. Des images étonnantes de poissons multicolores qui viennent vous chatouiller les pieds. Des harpes éoliennes qui jouent avec le zéphir. Des … et des … et encore des …
Ou n’est-ce pas plutôt Zanzibar qui m’attire ? Encore un nom à la sonorité tropicale !
Mais tout cela n’est qu’un rêve. Comme la vie là-bas doit être ennuyeuse à mourir ! Pas de cinéma, pas de librairies, pas de scribes.
Et si j’allais à Honolulu ! Oh, non !!
Catherine, Lyon 5ème
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Le Sahara…
Immense, dunes à perte de vue, bruit du sable qui roule et crisse dans les pentes. Vagues régulières dessinées par les vents, traces d’empreintes qui se suivent et serpentent vers une destination inconnue. Lumière totale du soleil qui dessine un paysage surréaliste où les caravanes ressemblent à des fourmis. A l’horizon une fumerole s’élève, une ville ? Un village ? Un amas indistinct au loin… des sons vibrants, des couleurs chatoyantes, je devine une odeur de galettes et de menthe en s’approchant… Un geste d’offrande, une invitation… des regards francs et limpides, des toiles soutenues par les mâts, solides, des fils tendus pour retenir les bâches qui offrent un abri. Des tapis multicolores pour accueillir, des verres de thé dans des mains tanées qui tintent à l’unisson de petites cloches soulevées par le vent. Un ciel uniforme, éclatant de bleu intense, traversé de rayons brûlants… Des serpents furtifs qui glissent d’un nid à l’autre… Des scorpions, rares mais effrayants… Une nuit peuplée d’étoiles, des silhouettes noires qui se découpent sur le ciel de prusse. Des hommes qui se réchauffent au feu de quelques branches, acheminées grâce aux chameaux… Un berceau de sable offert par la terre à mon impatience et à ma surcharge mentale occidentale. L’accueil.
Claire, St Laurent du Pont, Isère
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Je rêverais d’aller en visite dans ce paradis que l’on nous décrit, où nos morts seraient réunis. Je m’imagine arriver comme par magie, en lévitation et atterrir sur un nuage duveteux où un guide me donnerait les clés pour me repérer dans ce dédale. J’irais d’abord revoir mes grands-parents pour leur raconter tout ce que j’ai vécu depuis qu’ils sont partis (peut-être le savent-ils déjà, s’ils voient tout depuis leur paradis, mais dans le doute…) mais surtout pour réentendre leur voix, leur phrasé, leurs intonations, leurs petites phrases que j’ai eus longtemps dans les oreilles mais qui sont partis depuis… J’aimerais les prendre dans les bras, les embrasser et me sentir de nouveau petite fille, innocente et insouciante. Je passerais au moins une journée avec eux… Tout dépend de la durée d’une journée au paradis et du nombre de jours de visite auxquels j’aurais droit. Mon pass vaccinal étant en règle (et cela vaut mieux pour voir des anciens sans leur faire prendre de risque, même s’ils sont déjà morts mais ce n’est pas une raison pour leur refiler une maladie à laquelle ils ont eu la chance d’échapper !), je pourrais y aller mais pour quelle durée ? Après avoir profité de mes anciens à moi, je crois que je me laisserais tenter par une visite du côté des célébrités, mais pas ceux de la ferme ou de la télé-réalité, les vrais, ceux de mon panthéon personnel. En vrac, je passerai chez Bernard Giraudeau, pour voir s’il est toujours aussi beau, Victor Hugo, pour lui dire mon admiration inconditionnelle, Lino Ventura pour vérifier par moi-même son charme et son charisme, Simone Veil parce que c’est elle… Et je garderais pour la fin mon petit frère que je n’ai pas connu, pour lui dire qu’il a beaucoup compté dans ma vie et m’a faite telle que je suis. Je rentrerais après être passée en coup de vent, facile dans le ciel, il suffit de se laisser porter, voir les dieux pour leur dire qu’ils auraient vraiment pu mieux faire et qu’ils pourraient se manifester de temps en temps quand on les utilise à mauvais escient ! Mais encore faudra-t-il que mon pass me donne accès à ces VIP…
Cécile, Perrache
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Voyage ! Voyage !
” Va ! Découvre le monde ! Ne laisse jamais ta tente plantée trop longtemps au même endroit ! ”
C’est par ces mots que mon père a rendu l’âme un beau matin de printemps. J’avais 52 ans et une vie bien remplie déjà. Ses mots sautillaient dans ma tête et les fourmis dans mes jambes. Pourquoi m’avait-il dit cela ? Il savait que j’avais déjà bien bourlingué. Pendant plusieurs semaines, ses derniers mots me revenaient sans cesse à l’esprit.
52 ans. Ni trop jeune ni trop vieille encore. Toujours plein d’envies. Mais une vie un peu trop rangée maintenant ? Je me mis à rêver.
Vert tendre des prairies de juin, cimes blanchies en janvier, hautes montagnes rocailleuses, vastes plaines glacières verdoyant peu de temps au printemps. Neige, froid et vent. Désert.
Peuple nomade, chaleureux, rude et coriace, autant que les loups qui rôdent près des troupeaux.
Hommes et femmes vivant en autarcie, en communauté, en interaction étroite avec la nature qui ne les ménage pas. Ils s’accrochent dur à leur mode de vie et à leurs traditions.
La grande ville les guette, le modernisme fou les rattrape. Ils cherchent des solutions pour survivre, et trouvent !
Des chameaux s’y sont adaptés et sont devenus de précieuses aides, mais leurs petits chevaux restent incomparables pour survivre là.
J’aimerais chevaucher à brides rabattues dans ces contrées sauvages, dernier bastion d’une vie nomade à l’agonie, libre. La Mongolie.
Françoise de Caluire
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Je ne pourrai jamais /Je ne veux plus
Je ne pourrai jamais aller au Tibet découvrir Lhassa
Je ne pourrai jamais avouer toutes mes bêtises d’ado à mes filles
Je ne pourrai jamais plonger dans l’océan je ne sais pas nager
Je ne pourrai jamais manger cet énorme gâteau dégoulinant de sucre
Je ne pourrai jamais me passer du chant des vagues
Je ne pourrai jamais dire à mon jeune voisin que je le trouve craquant
Je ne pourrai jamais aller danser avec cette tenue ridicule
Je ne pourrai jamais aller sur la lune rencontrer Séléné
Je ne pourrai jamais parler petit nègre à un chinois
Je ne pourrai jamais mais si je pourrai faire le pitre à mon âge
Je ne veux plus avoir de regret de ne pas être allé au Tibet
Je ne veux plus cacher à mes petites filles que j’ai aussi été jeune
Je ne veux plus défier l’océan il pourrait m’emporter
Je ne veux plus baver devant la vitrine du pâtissier
Je ne veux plus grimper à l’assaut des montagnes
Je ne veux plus que l’on puisse penser que je suis une cougar
Je ne veux plus aller dans ces clubs à la mode
Je ne veux plus qu’on me dise « Jacqueline arrête de rêvasser »
Je ne veux plus me culpabiliser de ne pas être polyglotte
Je ne veux plus et n’ai jamais voulu rentrer dans le rang
Jacqueline la bretonne
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Pouvoir et vouloir
Je ne pourrai jamais dire jamais ! Quel drôle d’adverbe ! Adverbe que pourra !
Je ne pourrai jamais aller dans la lune. M’en fous, j’y suis souvent !
Je ne pourrai jamais collectionner des porte-clés. J’aime pas les portes qui ferment
Je ne pourrai jamais être maître-chanteur, mais chanter m’enchante
Je ne pourrai jamais sauter en élastique. Quand ça pète, ça pète !
Je ne pourrai jamais être pape, ni même sous pape. Ça carbure trop
Je ne pourrai jamais m’y faire ! Quelle époque épique pour les porcs-épics
Je ne pourrai jamais assez te remercier. Ben alors, tais-toi !
Je ne pourrai jamais vivre dans le bruit. Capharnaüm n’est pas ma ville !
Je ne pourrai jamais voir le 22e siècle. Bof !
Je ne veux plus passer mon amour à la machine, ni faire bouillir
Je ne veux plus de grands discours, les petits me suffisent
Je ne veux plus aller au bois, les lauriers sont coupés
Je ne veux plus rien du tout ! Et ce rien, le sot l’y laisse
Je ne veux plus parler dans le vide. Plouf !
Je ne veux plus me taire, c’est trop terre à terre
Je ne veux plus me faire du mauvais sang, c’est pas de veine !
Je ne veux plus casser la baraque. Obama n’est plus à la Maison Blanche
Je ne veux plus miser, les jeux sont faits, rien ne va plus
Je ne veux plus gna gna gna, mais le « je » en vaut-il la chandelle ?
Jean-Yves, Montpellier
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– Je ne pourrai jamais revenir en arrière, je ne veux plus penser à cette gifle que je t’ai donnée et qui t’a décidée à me quitter pour toujours.
– Je ne pourrai jamais me faire tatouer, je ne veux plus faire de la publicité pour des expositions ambulantes.
– Je ne pourrai jamais utiliser l’écriture inclusive, je ne veux plus que l’on dise de notre ancêtre Lucy qu’elle était une féminidé.
– Je ne pourrai jamais faire de la spéléo, je ne veux plus faire de crise de claustrophobie.
– Je ne pourrai jamais chanter en public, je ne veux plus que l’on raille ma voix de chemin de fer.
– Je ne pourrai jamais quitter le RER en gare des Ulis, je ne veux plus voir une larme dans ton œil de cyclope.
– Je ne pourrai jamais terminer cette liste, je ne veux plus écrire que des choses intelligibles.
Philippe, Lyon 1er
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Lettre à un auteur/réalisateur
Bonjour, Steven Spielberg,
J’aime beaucoup vos films. Mais il y en a un que j’apprécie moins : « Les dents de la mer ».
Je ne peux m’empêcher de penser aux requins. Les pauvres ! Quel mal vous leur avez-vous causé.
Pourquoi ?
Alors qu’il y a si peu de personnes qui meurent dévorées par ces animaux tous les ans !
Et avez-vous pensé à tous ces gens qui ont peur d’aller au bord de l’eau ?
A l’idée de rencontrer ces dangereuses bêtes !
J’espère que vous trouverez de meilleures idées de films !
Bonne continuation,
Christine de Villeurbanne
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Cher James Joyce,
Si je vous écris aujourd’hui, c’est pour vous parler d’Ulysse, l’un de vos romans les plus connus, encensé par de nombreux lecteurs et par la plupart des critiques littéraires. Je dois vous avouer que je n’ai jamais réussi à dépasser la vingtième page. Manque de persévérance pourriez-vous me dire. Vous vous tromperiez. J’ai tenté l’aventure à plusieurs reprises et je suis resté dans l’incompréhension la plus totale. Des phrases très courtes ou au contraire sans fin, peu de suivi dans les actions, des personnages curieux, parfois sans émotions ou submergés par des sentiments excessifs. Ayant horreur de renoncer à poursuivre la lecture d’un livre jusqu’à la fin, j’ai même tenté de parcourir des extraits de chapitres différents. Même résultat. Impression de lire une langue étrangère ou un charabia, excusez-moi du terme, riche en vocabulaire mais sans aucune cohésion. Vous allez peut-être me trouver inculte ou ignare, totalement fermé à votre style que beaucoup de lecteurs apprécient par ailleurs. Mon intention n’est pas de juger vos écrits, mais plutôt de comprendre ce que je n’ai pas réussi à ressentir en parcourant votre texte. Peut-être pourrez-vous m’aider dans cette tâche qui me paraît insurmontable.
Votre livre ressemble à un monologue intérieur de chacun de vos personnages, où les sujets abordés vont de la mort à la vie, en passant par le sexe, l’art et la religion de manière très éclectique. Vous semblez vous affranchir de toutes les normes littéraires, et je trouve cela déroutant.
Je compte sur votre éclairage pour mieux percevoir votre processus de pensée.
Bien à vous
Un Scribe inconnu
Jacques, Chaponost
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à : Dieu (le père)
Objet : Réclamation et remise en état
Cher Dieu,
Tu sais sans doute, puisque tu sais tout, combien j’admire depuis toujours ton œuvre et avec quel enthousiasme je me suis toujours attaché à la défendre et la promouvoir.
J’affirme avec conviction que la création du monde est une réussite et j’admire tout, ou presque, de ce que tu as élaboré, et en six jours seulement, pour notre confort : Le ciel, les astres , le soleil et les étoiles, les océans, les fleuves, c’est fichtrement bien pensé. Franchement, là, je dis bravo. Quel boulot et quelle ingéniosité pour que tout cela s’emboîte parfaitement !
Les plaines, les vallées, les collines, les monts et les montagnes et la végétation qui tapisse tous ces lieux, c’est tout simplement magnifique.
Et le peuplement ! Chapeau ! Tu aurais pu te contenter des chiens, des chats qui sont si mignons sur Facebook et des quelques espèces nécessaires à notre alimentation. Mais non, tu as fait dans l’abondance, et la diversité. Du bousier au diplodocus, quelle palette ! C’est presque déraisonnable.
Et quelle modestie… Quand tu t’es aperçu que les dinosaures n’étaient peut-être pas les plus sympathiques de tes créatures, tu n’as pas hésité à les rayer de la carte.
C’est précisément au nom du suivi de tes prestations et du service après-vente que tu sembles vouloir assurer, que je me permets de protester contre les dégradations que je subis depuis quelque temps, dans mon état physique, comme en mes capacités intellectuelles. Depuis que j’approche la soixantaine, bon nombre de constats désagréables quant à mon apparence et ma tonicité s’accumulent, me faisant craindre une obsolescente programmée indigne de ta toute puissance.
Cheveux qui tombent, remplacés, si l’on peut dire, par de disgracieux poils dans les oreilles et des sourcils en plein développement. Vue qui se trouble, troubles de l’élocution, dents de plus en plus rares, audition déficiente, articulations qui craquent, se raidissent et font articuler des plaintes à chaque mouvement, muscles qui fondent au profit de graisses qui empirent et fondent un empire sur la silhouette et je ne m’étendrai pas sur mes activités et possibilités sexuelles qui frôlent le néant.
Je n’expose là qu’une partie des douloureuses constatations qui m’entraînent sans recours vers un retour à la prime enfance dans ce qu’elle avait de plus notable en incapacités : Chauve, édenté, bavant, incontinent, incapable de marcher, de parler, de se nourrir seul. Voilà le beau bébé que je redeviens.
Je compte donc sur toi pour que tu interviennes dans ce processus qui nous dégrade toi et moi, car n’oublie pas que tu as fait, selon tes dires, l’homme à ton image et que tout ce qui endommage mon image ne rend pas hommage à celle de ton entreprise.
En espérant pouvoir encore chanter tes louanges après que tu auras pris connaissance de mes remarques et agis pour mettre fin aux dégradations que j’évoque et ne peux croire inscrites dans le contrat.
Avec toute ma considération, accepte l’expression de mes meilleurs sentiments.
Patrick, Villefranche