Variations 2.0 sur le poème « À une passante » de Charles Baudelaire
Sonnet à une adolescente
Le métro archi bondé crisse son venin.
Ronde, des trous à son jean, tout de noir vêtue,
Une ado en piercing, d’un pouce ultra pointu
Fait défiler sa vie, son portable à la main.
Indifférente, elle avec son air ingénu
Moi assise en face, le regard perdu
Deux inconnues que rien ne relie, pauvres dames !
Mon sac comme compagnon, pour elle son Instagram
Une panne… puis le noir ! Surprenante lueur
Dont l’écran allumé donne un peu de chaleur
Je ne la vois plus mais je sais qu’elle vit encore
Ailleurs, hors du temps ! Elle continue son trip
Son pouce se déchaîne, son fil n’est pas mort
Ah, la lumière revient, l’ado envoie un bip !
Catherine, Lyon 5ème
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Soudain, elle se retourne.
Elle me regarde.
« Est-ce que je vous connais ? dit-elle.
Votre visage me paraît familier. »
Surpris, je ne sais que répondre.
« Je ne pense pas » dis-je, après un léger temps.
« Vous semblez si triste ! Que vous est-il arrivé ?
– Mon frère est décédé. Un accident. Nous étions si proches. Je marche un peu, pour ne pas penser.
– Oh, je suis désolé. Voulez-vous vous asseoir, pour vous reposer un peu ?
– J’ai bien peur d’être une triste compagnie.
– Je ne crains pas la tristesse. Je suis poète. La tristesse et la peine m’ont beaucoup inspiré.
– C’est gentil de dire cela. Je ne vais pas pouvoir m’attarder. Je vais rejoindre ma famille, qui est dans la peine. »
La voix de la jeune femme est douce et grave. Le poète est sous le charme.
« Je ne vous retiens pas plus longtemps. Je serai là, demain vers la même heure. Si vous le souhaitez, je pourrai écrire un poème sur votre frère. Cela pourra vous aider ?
– Je ne vous promets rien. Je suis si triste. Mais cela me ferait peut-être du bien ? Bonne fin de journée ».
Elle se lève, fait quelques pas, puis se retourne.
Elle lui adresse un sourire timide.
Il lui sourit à son tour.
Il se sent heureux.
Il se demande si elle va revenir le lendemain.
Christine de Villeurbanne
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Les boulevards accueillent moins les statues féminines.
Les hennissements des chevaux ne nourrissent plus la rue assourdissante ; les motos prennent le relai, trop bruyantes.
Le deuil en noir devient inutile : le portable frôle la veuve sans la fixer.
Ton regard ne me fait plus renaître car tu ne me vois pas, je t’appelle.
Bien loin d’ici , tu me parles alors que tu vas t’endormir, c’est l’heure où je me réveille.
Le plaisir tue toujours mais demande-t-il une proximité physique ?
« ô toi que j’eusse aimée »
La célibataire d’âge mûr a des regrets, celui de ne pas arpenter la rue en grand deuil et que sa démarche et cette couleur ne lui aient pas apporté l’amant parfait.
Geneviève, Caluire
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Le parc embaumait en effluve de rose
Telles la tige fleur, deux jambes en corolle
Faisaient virevolter la jupe en danse folle
Capturant mon regard sur laquelle il se pose
Remontant vers le ciel mon œil s’en grivoise
L’image d’un ange à la blondeur de miel
Se fige à la vue d’un casque aux oreilles
Elle parle au vide, nos yeux s’entretoisent
Elle ne me voit pas je la capte en rétine
La belle indifférente, glousse de plaisir
La jupe tournoyant sur ses jambes sublimes
Sais-tu que ce balancement attise mon désir
Toi qui cours amoureuse vers ton rendez-vous
Tu me laisses interdit le cœur dans le flou
Bo de l’aire, alias Jacqueline la bretonne
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« Le cri » de Munch et au-delà…
Vous n’avez aucune idée de ce que je suis en train de voir, d’entendre, de sentir.
Devant moi, vous êtes là, en foule… une multitude terrifiante… et vous me faites peur, avec votre comportement moutonnier et agressif. Non, je résiste à vous suivre, à marcher à la suite de cette horde qui n’a plus d’humaine que le nom.
Mais derrière moi, il y a ce bruit assourdissant, ce hurlement de la meute assoiffée de sang. On entend la cavalcade des pas, les halètements des poitrines lancées à toute allure vers une victime désignée. Non, je ne vous servirai pas de pâture cette fois-ci et vous irez, charognards, ailleurs vous sustenter.
Au-dessus de moi, c’est un déluge de feux, ceux de l’enfer sur Terre, les pollutions que vous autres avez accumulées sur nos têtes. Merci du cadeau. L’air devient irrespirable… Je vous laisse savourer ses remugles dans vos poumons.
A droite, un sentier de perdition. A gauche, une rambarde dérisoire pour se protéger de la mer.
Oui, décidément, vous ne comprenez rien à mon tourment…
Jean-Yves, Montpellier
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La nostalgie n’est plus ce qu’elle était
Toutes les voiles hissées capturaient les vents forts et nos rêves les plus délurés. Bientôt, en mer, nous fûmes seuls au monde. Contre nous se déchainèrent les ondes et notre jeunesse fut perdue. Nous échouâmes sur une île, fourbus.
Nous fûmes recueillis par des îliens très intrigués de nous voir. Ils nous intégrèrent sans problème dans leur communauté. L’endroit était prospère et hospitalier.
Les mois passèrent nous étions devenus frères. L’endroit était très agréable, nous échangions nos connaissances et nous adhérâmes à leurs croyances et coutumes et pour leur montrer notre reconnaissance, nous bâtîmes tous ensemble un monument à notre effigie. Les piliers du temple représentaient chaque personne de la tribu, dont nous-mêmes. Ce lieu devint hautement sacré.
Mais peu à peu l’appel du large se fit ressentir, nous avions besoin de retrouver la route, on the road again again. Nos amis ne comprirent pas pourquoi nous voulions les quitter et ils nous enjoignirent de rester. Devant notre refus, ils se réunirent au Temple.
Le lendemain matin, alors que nous rassemblions nos maigres affaires, ils surgirent vers nous, en colère. Ils nous encerclèrent et nous entraînèrent vers le Temple, nous attachèrent aux piliers et mirent le feu au monument. Nous fûmes pétrifiés par leurs incantations mystiques et scellés à tout jamais à cette terre.
Le magnifique temple que nous avions construit avec eux n’était plus que cendres et ruines. La tribu disparut de l’île, nous les entendîmes chanter et s’éloigner vers la plage où les attendaient leurs pirogues. Nous survivions seuls pauvres bandits de pierre, toujours larges d’épaules, mais brisés. Le Temps fera son ouvrage sur nos pauvres corps en grès. Ah ! Comme nous regrettions ces belles années insouciantes ici avec nos amis ! Ah ! Comme elles sont belles leurs femmes et si avenantes, toujours souriantes et gentilles, très gentilles. Une vie de rêve … Un paradis ! Pourquoi a-t-il fallu briser ce lien que nous croyions infaillible ! L’entente était cordiale et nous partagions tout. Ils avaient un sens aigu de la fraternité que nous ne connaissions pas. Quels imbéciles nous sommes ! Pourquoi avoir dynamité cet endroit où nous vivions heureux ? N’étions-nous pas libres et heureux ? Pourquoi a-t-il fallu briser cette belle harmonie !
Pauvres de nous ! Et ce ne sont pas ces hordes de touristes idiots et ignares qui nous réconfortent ! Ils nous prennent pour des autochtones d’un peuple inconnu ! On rêve !
Françoise de Caluire
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Le Puits
Il fut un temps au printemps, où la fonte des neiges alimentait en eau la rivière souterraine qui me servait de siège, et mon sable s’imprégnait jusqu’à devenir vase, puis le niveau montait et quelques salamandres tachetées profitaient de mon abri pour se reproduire.
Il fut un temps, en été, où le seau tintait sur ma margelle avant de descendre au bout de la chaîne, se cognant aux parois avant de se coucher sur le flanc et s’emplir de mon eau claire, fraîche et désaltérante.
Il fut un temps en automne, quand j’étais à sec, le sage prenait une échelle et s’enfonçait dans mes entrailles pour s’installer, jeûner et méditer sur la vanité du monde en contemplant le ciel par le petit cercle qui tout là-haut lui servait d’oculus.
Il fut un temps, en hiver, où le gel empêchait que l’on creusât les tombes. Alors, la nuit, on jetait en secret au fond de mes entrailles, quelques chiens crevés et des bébés avortés espérant de la sorte que soit oubliée jusqu’à leur conception.
Aujourd’hui je suis comblé et ma vie n’a aucun sens. On a capté bien en amont la source qui délivra mon sang des siècles durant, la ferme dont la cour m’hébergeait a laissé place à un supermarché et les âmes des bébés errent sans fin entre terre et pierres à la recherche des improbables limbes.
Philippe, Lyon 1er