Le 22 septembre, une partie des Scribes ont visité la demeure du chaos de Saint-Romain au Mont d’Or… et ont écrit à partir de cette visite.
Et les absents ont imaginé à quoi elle pouvait ressembler…
La demeure du Chaos
Il pleuvait ce jour là
Saint Romain au Mont d’Or
Affichait ses demeures
Aux pierres anciennes
Au centre son église romane
Trônait près de la gourmande table
Village pour beaucoup idéal
Puis sacrilège pour ceux-là
Défigurant le paysage
La demeure du Chaos
Mon souvenir d’alors
Œuvre démentielle
Mais avec intérêt
J’en dissèque chaque tableau
Du bon, du génial du rejet
Oser assumer son projet
Envers et contre tous
Afficher sa différence
S’exposer à ciel ouvert
Aux passants curieux
Laisser la critique glisser
Faire laisser dire endosser
Le chaos de sa demeure
Jacqueline la bretonne
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Attention ! Ici, tu n’entres pas par effraction ! L’antre de la caverne du KO est délibérément sordide. N’approche pas qui veut de ce sanctuaire de l’Effroi. Mais si tu n’as pas précisément froid aux yeux, Ô Visiteur aventureux, alors les portes de l’Enfer te sont ouvertes. OK pour le KO ? Alors, Welcome !
Ton guide se nomme Folie et il t’emmène dans les dédales de la monstruosité humaine. Voici le hangar des propagandes, l’entrepôt des armes léthales, la chambre des conditionnements, le miroir aux alouettes, le garage des certitudes, le laboratoire des manipulations…
La demeure du Chaos te donne à contempler tes propres erreurs, ta consternante façon de te laisser berner d’illusions. Oui, tu l’as bien compris : ici, tu es à l’aise, chez toi, dans ce qui te sert névrotiquement de cerveau…
Jean-Yves, Montpellier
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Un objet envoie une lettre de motivation pour être intégré à la demeure du chaos
Messieurs les artistes,
J’ai 15 ans, en bon état général, quoiqu’un peu usagée sur les bords, mais je garde vivacité, bon œil, bon pied. J’appartiens à la race des réfractaires, des incontrôlables, des irréductibles. Ce que j’ai vu chez vous, c’est tout moi !
J’aimerais, si vous retenez ma candidature, rejoindre ce petit pied rose écrasé sous une poutre au bord du 4ème chemin à gauche après l’entrée. Ce joli petit pied rose va bien nu-pieds en été mais en hiver ? Vous allez le laisser là, se geler, se congeler, bleuir de froid !!! Je m’oppose à ce carnage et vous propose toute mon aide et mon admiration pour ce que vous faites. Je chérirai ce petit être frêle, moi, vieille basket ! Prenez-moi dans votre demeure et votre petit pied rose sera sauvé des intempéries.
Messieurs les artistes merci de m’avoir lu et merci encore de me répondre favorablement,
Basket bleue
Françoise de Caluire
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Hello Thierry !
Je suis un homme bleu, mais je peux m’adapter, devenir rose, rouge, vert ou noir. Ma palette est large et votre choix pourrait s’orienter sur un mélange de vos 9 couleurs préférées.
Le chaos règne dans mon cerveau, les idées qui me traversent l’esprit se confondent sans arrêt, je les brasse, et parfois il en ressort des petites phrases assassines, critiques, parfois sibyllines, encensant des opinions, illustrant des évènements d’actualité ou célébrant des personnalités qui ont marqué leur époque.
La parole m’est étrangère, je suis l’œuvre d’un artiste excentrique qui plante ses œuvres sur les trottoirs, les quais de gare, les sorties d’usine, tous endroits accessibles et pouvant recevoir du public, ou bien qui les expose de telle manière que je sois admirée par un maximum de personnes.
C’est pourquoi mon créateur s’adresse à vous par mon intermédiaire, pensant (oui il pense !) que mes caractéristiques et mon originalité pourraient avoir leur place dans votre vaste demeure.
Il est d’accord pour me reproduite 9 fois, en 9 couleurs différents, avec 9 expressions représentatives des états d’âme de notre société chaotique.
Je suis inerte, mais j’ai un cœur, et votre réponse positive le ferait battre de manière chaotique.
Bien à vous
L’Homme Bleu
alias Jacques, de Chaponost
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Le 22/09/2022
Mail reçu
Sujet : à exposer
Cher Monsieur Ehrmann,
Bien que fort éloignée de votre idéologie et de vos convictions, je ne peux m’empêcher d’éprouver une franche admiration pour une bonne part de vos travaux et surtout pour la pugnacité que vous mettez à les imposer en les exposant, sans composer avec le conformisme et le conventionnel.
De plus, j’ai ressenti, à ma dernière visite, un choc culturel d’une rare intensité en constatant que le rose faisait une entrée en force sur les gravats noirâtres de la Demeure du Chaos.
Cette évolution m‘a confortée dans l’idée de solliciter une place au sein de votre galerie de portraits illustres. Ma présence se justifiant parfaitement en tant que symbole du capitalisme béat et triomphant et idole iconique du charme standardisé mondialement reconnue (et pas seulement auprès des préadolescentes !)
Il va sans dire que j’entends tenir, parmi les œuvres exposées, une place à la mesure de mon aura. C’est donc accompagnée de l’ensemble des accessoires qui sont essentiels à mon quotidien que je souhaite paraître : Garde-robe, mobilier, voiture, chevaux, camping-car, yacht, avion… etc.
Restant à votre disposition pour une rencontre permettant de finaliser le projet, je vous prie de croire, cher Monsieur Ehrmann, en mes sentiments les meilleurs.
Barbie
PS : La présence de Ken est facultative.
Patrick, Villefranche
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Imaginer l’histoire d’un objet avant qu’il soit exposé à la demeure du chaos
Ils m’ont reproduite comme ils m’ont trouvée.
Je n’ai pas toujours été cette photo en partie effacée. Je fus prise très loin d’ici, à une époque durant laquelle, délaissant la poésie, le poète était parti faire des affaires, ne soyons pas trop précis.
Je suis rentrée avec lui . Nous avons fait escale dans ce funeste hôpital de Marseille et j’étais encore coincée dans sa malle quand ses yeux se sont fermés à jamais.
Je suis la dernière image d’Arthur.
Je fus ballotée de Marseille à Charleville enfermée sans ménagement dans l’armoire de Madame Mère. Je fus retrouvée à la mort de cette dernière par la sœur du poète. Si ma vie fut pleine de pérégrinations, elle fut aussi pleine de deuils.
J’étais toujours là mais mon séjour sous les serviettes râpeuses de Madame Mère a effacé une grande partie de mon côté droit en fait le côté gauche d’ARTHUR.
Ne pouvant résister à sa cupidité, malgré sa tristesse, la sœur me vendit à prix d’or à un antiquaire qui s’empressa de faire faire des copies de l’ultime photo du grand homme, qu’il revendit avec un beau bénéfice. Comment une de ces copies arriva-t-elle entre les mains du créateur de cette auguste demeure ? Je l’ignore, mais voulant rendre hommage à Arthur Rimbaud, c’est moi qu’il fit peindre sur un des murs des célébrités, sans la moindre modification. Il est bien certain que Victor Hugo et bien d’autres ont eu plus de chance.
Dany, Lyon 7ème
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La maison de l’ordre parfait
Un cube de verre transparent.
A l’intérieur une sphère en métal opalescent.
Sur le cube un cône à demi empli d’eau.
Dans l’eau, habitent des bulles parfaites. Chacune contient un dé portant gravé un nombre, de 1 à 999.
Le cône est suspendu par un fil d’or à un croissant de lune.
Il oscille, entraînant dans sa course périodique, les dés, le cube, la sphère en un mouvement perpétuel, qui brasse les dés, mélange les numéros en un loto géant.
Le mouvement ralentit. Les dés s’empilent, bien ordonnés, par numéros croissants formant à leur tour un gros cube. Sur la face supérieure, il en manque un, tout au centre, qui soudain surgit, on ne sait d’où, un cube transparent portant le nombre 1000 qui complète le puzzle tridimensionnel.
A bien y regarder, ce petit cube est en verre. Il porte en son sein un cône empli d’eau accroché à un croissant de lune. Dans ce cône on devine des petites sphères en métal opalescent portant gravé un nombre entre 1 et 999.
Le cône commence à osciller, brassant les petites boules…
Un jour, peut-être, un grain de sable quantique grippera le mécanisme de cette demeure. Et quelque part dans l’infiniment grand ou l’infiniment petit, surgira une boule ou un dé portant le numéro zéro qui mettra fin au puzzle perpétuel en déclenchant le big-bang.
Peut-être…
Philippe, Lyon 1er
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Et pour ceux qui n’étaient pas à la visite, deux autres petits sujets
Une rue raconte son histoire…
La rue des Tilleuls
Je suis une rue moyenne avec des petites maisons et des immeubles d’habitations de trois étages. Il y a aussi deux restaurants et un café, ainsi qu’une boulangerie et un bureau de tabac. Des tilleuls sont plantés tout le long. Je suis assez animée. Les deux restaurants sont bien remplis, surtout le samedi. L’un est un restaurant chinois, bien décoré avec plein de petites lanternes et l’autre une pizzeria bien appréciée par les habitants.
J’ai un petit parc en mon centre, dans lequel les parents emmènent leurs enfants pour jouer, courir, se dépenser. Il y a des personnes âgées et jeunes, aussi, qui profitent du terrain de boules. J’en ai vu passer, des générations. J’ai vu des enfants grandir … Certains sont même revenus habiter chez moi. Comme quoi, on se sent bien chez moi !
J’ai l’impression d’être une grande rue de village à moi toute seule, avec des habitants qui se connaissent bien et qui aiment se retrouver au café pour se donner des nouvelles.
Christine de Villeurbanne
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Je me présente :
Je suis Grande rue Chère, pour vous servir, à ne pas confondre avec ma petite sœur la Petite rue Chère.
Elles étaient venues me voir. Ces deux amies partirent de l’église de Pont-Croix dans le Finistère. Puis elles traversèrent une petite place avant d’arriver devant moi.
Regardez-moi ne suis-je pas comme une adolescente qui dévale la pente après avoir pris un café sur la place et mangé une petite gourmandise ?
Mais ce n’était pas deux gamines qui, ce jour-là, mirent chaque pied l’un devant l’autre, mais deux dames ayant dépassé le demi-siècle voire un peu plus mais je suis discrète je n’en dirai pas plus.
Au tiers de mon parcours, l’une rebroussa chemin. La voyez-vous avec son vêtement jaune qui tranquillement arrive à mon sommet ?
L’autre, plus téméraire, qui veut toujours savoir ce qu’il y a au bout, se dirigea vers le pont qui enjambe le Goyen, la rivière dans laquelle j’aime tremper mes pieds et qui parfois remonte un peu plus haut, le coquin.
Là vous me voyez, bordée de belles maisons dont, une aux volets et la porte, peintes en rouge. Certaines portent sur la façade des dates attestant leur ancienneté. Mais ça n’a pas toujours été ainsi. Dans ma jeunesse, c’étaient des commerçants, dont les boutiques agrémentaient mes flancs, qui ouvraient chaque jour leur étal. Il y avait : deux boulangers, un cordonnier, un boucher, un tanneur, un taillandier, deux marchands et un serrurier. Bon, pas de raton laveur …
Vous vous voyez tous les matins aller chercher votre pain, votre beef. Bien sûr, le cordonnier serait encore bien utile pour réparer vos chaussures usées par ces marches biscornées. Oui je sais on dit biscornues mais moi j’aime bien détourner les mots. La modernité a fait déménager ces commerces vers des lieux plus accessibles.
Pourtant cette fois-là, les deux touristes bien que bretonnes n’ont pas hésité. Et je te clique par ci et je te fais le portrait par là. Bon j’y suis habituée. Je suis une antiquité dans la ville. Un patrimoine à préserver. Une ancêtre quoi !
Un conseil, si vous venez me voir, prenez en cavale la Petite rue Chère et en escalade remontez ma pente doucement, ainsi vous aurez tout loisir d’admirer le charme que je dégage.
Jacqueline la bretonne
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Ces années-là, on avait l’habitude de me fouler en souliers vernis mais cette famille envoyait ses enfants à la boulangerie en pyjama et qui dit pyjama dit pantoufles. Oui, c’était des petits pas d’enfant dans des chaussons de feutres qui glissaient sur mon trottoir. A la sortie du 8 de la porte cochère, les pas étaient allants puis se figeaient parce que l’enfant, la main serrée sur la monnaie qui lui avait été confiée s’arrêtait net, ouvrant ses doigts pour regarder les pièces, trésor éphémère, puis resserrait son poing tandis que sa course reprenait. La distance était courte du 8 de la rue à la boulangerie et la commerçante sachant à qui elle s’adressait choisissait une couronne bien cuite. La boutique regorgeait de bonbons mais l’enfant en pyjama ne les dévorait que des yeux, qu’il avait gros mais moins quand-même que la boulangère qui surveillait du coin de l’oeil les petites mains chapardeuses. Etrange façon de faire envie tout en interdisant. La boulangère était méfiante et peu amène mais le pain sentait bon. En échange de quelques pièces, on pouvait porter la couronne en bracelet et c’est là que les petites pantoufles se mettaient à sautiller avec légèreté sur mon asphalte. Comme ils étaient doux ces pas de laine sur ma peau de bitume ! J’ai senti passer toute sorte de gens, des cohortes de lycéens au cheminement agréablement sinueux, ponctué par les fous-rires, des personnes droites dans leurs baskets, des chatouillis de talons aiguille, des autos aux pneus confortables mais les semelles de feutre de l’enfant en pyjama, disparu depuis longtemps – où l’ont donc mené ses pas ? – m’ont laissé plus d’empreintes que le brouhaha de la ville.
Marie-Pierre, Beauvezer
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Et quelques anaphores élémentairement sensuelles
Quand je dis EAU, je vois la transparence, j’entends une cascade, je sens l’humidité, je touche la fraîcheur.
Quand je dis FEU, je vois se mélanger des volutes orange, jaunes, ocres, rouges, j’entends crépiter, je sens la chaleur et je ne touche pas !!
Quand je dis AIR, je vois la transparence, je sens les effluves qui montent, j’entends le doux bruit de la brise, je touche le souffle.
Quand je dis TERRE, je vois marron, j’entends le bruit des pas dessus, je sens l’odeur humide et chaude qui remonte les jours de pluie, je touche la pâte molle de la glaise.
Christine de Saint-Clair
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Quand je dis EAU, je vois une goutte translucide,
Quand je dis EAU, j’entends les flics et les flocs de l’eau dans les flaques,
Quand je dis EAU, je sens la pluie qui dégouline le long de mes cheveux,
Quand je dis EAU, je goûte cette boisson inodore,
Quand je dis EAU, je touche et je me mouille les doigts.
Quand je dis TERRE, je vois du marron, ou du gris, ou du rouge, c’est selon…
Quand je dis TERRE, j’entends pas grand-chose, à vrai dire…
Quand je dis TERRE, je sens cette odeur d’humus dans ma main,
Quand je dis TERRE, je goûte à la sensation de liberté,
Quand je dis TERRE, je touche quelque chose de sain.
Quand je dis FEU, je vois rouge, jaune et bleu,
Quand je dis FEU, j’entends crépiter les flammes,
Quand je dis FEU, je sens l’odeur du brûlé,
Quand je dis FEU, je goûte à cette sensation de peur,
Quand je dis FEU, je ne touche pas sinon je me brûle les doigts !
Quand je dis AIR, je vois une plume qui s’envole dans le ciel,
Quand je dis AIR, j’entends le vent qui souffle dans les branches des arbres,
Quand je dis AIR, je sens un frisson parcourir mon dos,
Quand je dis AIR, je goûte à l’envie de m’envoler dans les airs,
Quand je dis AIR, je touche enfin à mon rêve…
Jocelyne de Brindas