Le groupe des Scribes de Lugdunum a démarré en février 2023 des ateliers thématiques autour des arrondissements de Lyon. Chaque mois, après des visites in-situ, ils écriront autour de monuments, murs peints, sculptures, bâtiments…
En février, nous étions dans le premier arrondissement.
Le patineur de la place Tolozan
Le patineur patiné
Il ne fait pas très chaud aujourd’hui. Mais pourquoi m’ont-ils déposé en plein courant d’air ?
Ma position en équilibre instable est vraiment incertaine et inconfortable, je me demande toujours à quel moment je vais m’écrouler. Il faut que mes épaules soient lourdement chargées.
Les badauds me contemplent surpris et admiratifs, certains me détestent pourtant je ne leur ai rien fait.
Les enfants s’étonnent et rigolent : « C’est sûr qu’il va se casser la binette ».
Très peu se préoccupent de mon dos que martyrise cette position incertaine.
En général, les principaux défauts que tous reconnaissent sont à la fois la saleté et la rouille qui me rongent.
On aurait pu on aurait dû me refaire une petite beauté, mais c’est cet horrible bouquet du pont de la Guillotière qui a eu droit à un ravalement complet. Pourtant mon emplacement près de l’hôtel de ville et de l’Opéra et mon droit d’aînesse, je suis beaucoup plus vieux que lui, auraient dû faire de moi une priorité au nettoyage.
Il existe en ce bas monde bien des injustices, même entre les monuments de la ville.
Je reste donc aveugle et déséquilibré avec ma tête vide, espérant que dans un avenir proche j’aurai enfin droit à une rénovation totale qui surprendra mes admirateurs et mes amis les pigeons.
Dany, Lyon 7ème
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Prends ton élan, bel homme, envole-toi. Tu as couleur des fleurs d’hiver : marron, noir. Le vent peut te soulever. En ce temps froid, le vent a toute sa force. Tu partiras au-dessus du Rhône, au-dessus des immeubles, tous les mêmes.
Toi qui es différent, toi qui ne bouges pas, toi qui es là par hasard et par volonté des hommes.
Pourquoi toi ?
Certains passants te regardent, d’autres non. Non, tu les laisses indifférents, l’intérêt pour ta nouveauté a disparu.
Quelques bisous t’aideraient à partir, à décoller. Embrasse-t-on de la ferraille ? Tu n’as pas le velouté, la douceur de la peau, de la fourrure. Qu’a donc voulu ton fabricant ? De quelles amours monstrueuses de fer, de feu, es-tu sorti tordu ?
Je vois que tu n’as pas de tête. On peut voler sans tête, sans mains, sans cou. Avion.
Toi qui es dans le DUR, offre-nous le contraire de toi : le sucré, le moelleux, le chaud, le soleil. A tes pieds, les premières fleurs de ce printemps t’aideront.
Geneviève, Caluire
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La place des Terreaux
Accrochés sur une corniche de l’hôtel de Ville, Robert et Kévin, deux pigeons, discutent en regardant la Place des Terreaux.
K : J’aime bien cette place, ce grand dégagement
R : Toi tu n’as pas connu la place noire de monde, le jour de la Libération.
K : La libération de quoi ?
R : Ah là là les jeunes, tu n’as pas connu l’occupation allemande, les nazis, la terreur, la faim, fallait se planquer sinon on nous zigouillait pour nous manger.
Et en 1944, les alliés avec la France libre de De Gaulle nous ont libérés.
Quelle joie ! Quelle foule !
K : Mais les gens, ils devaient être trempés par les fontaines de Buren.
R : Réfléchis un peu, regarde le style des fontaines, tu ne comprends pas qu’elles n’existaient pas à cette époque-là. J’en ai la nostalgie.
K : Ah ! Bof ! Vous les vieux faut un peu sortir de votre passé et de vos vieux souvenirs.
K : Et vous les jeunes, faudrait apprendre l’histoire, et connaître le passé.
Christine, Caluire
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Un vieux pigeon (VP) et un jeune pigeon (JP) discutent, posés sur le toit de l’Hôtel de Ville de Lyon.
JP – Toi l’ancien, tu connais son histoire à cette grande place des Terreaux, raconte-moi un peu,
VP – Et bien gamin, depuis le toit où nous sommes installés aujourd’hui, je pouvais contempler la fontaine Bartholdi qui se trouvait juste en face, devant la Galerie des Terreaux qui était alors très fréquentée. Il n’y avait pas encore ces colonnes raccourcies, loin de leur conception initiale. Je pouvais alors survoler la place et me poser à loisir sur « les Buren » qui étaient bien plus hautes.
Le jeune pigeon regarde son aîné avec étonnement.
JP – Alors tu ne l’aimes plus cette place ?
VP – Si bien sûr, mais ce n’est plus comme avant. Je dois aller me poser sur le toit du musée des Beaux-Arts si je souhaite contempler la fontaine comme avant de face et dans toute sa splendeur.
JP – Et alors, cela t’ennuie tant que cela ? Maintenant tu as de la chance, non seulement tu peux admirer la fontaine, mais tu peux bénéficier encore plus facilement du jardin du musée situé à quelques battement d’ailes juste derrière, à l’abri du bruit des touristes et des voitures.
VP – C’est vrai, mais en plus tous les ans, ils organisent la fête des Lumières, et là je suis obligé de me cacher, c’est infernal…
JP – Oui mais c’est beau toutes ces couleurs, et tu es bien placé pour profiter du spectacle !
VP – Ah ! On voit bien que tu es jeune, méfie-toi des humains, ils inventent des choses diaboliques. Un jour il y avait même des flammes dont la taille variait en fonction du son qui sortait des nombreux hauts parleurs disposés sur la place. Pour un peu je me serais fait griller ! Je te le dis gamin, ces humains ils sont capables du meilleur comme du pire, surtout pour nous les pigeons !! Il paraît que parfois ils nous mangent, ils nous préfèreraient dans leurs assiettes plutôt que sur leurs monuments…
Jacques, Chaponost
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Perchés sur le toit de l’Hôtel de Ville, deux pigeons, l’un tout jeune (JP) et l’autre très âgé (VP) bavardent en contemplant sous leurs pieds l’immense place des Terreaux à Lyon.
JP : « Cette place, c’est quand-même le cœur de la Ville. S’y côtoient le symbole de l’administration citoyenne avec l’Hôtel de Ville, ce qui se fait de mieux en matière de culture avec la fontaine de Bartholdi, le musée des Beaux-arts et au sol, le pavage et les colonnes de Buren, et surtout l’insouciance de la jeunesse avec ces terrasses de bistrots qui recouvrent un bon tiers de la place ; une synthèse de la vie moderne, vraiment ! »
VP : « Que tu dis, Ô jeune ignorant qui n’a pas connu l’époque où cette place était traversée par un large fossé nauséabond qui déversait dans la Saône les miasmes descendus de la Croix-Rousse. Et sais-tu que chaque semaine se tenait sur la partie nord de la place un marché aux cochons à l’origine de la réputation mondiale de Lyon en matière de charcuterie ? Quant à la partie sud, s’y dressait pendant des siècles une estrade. Sur celle du Moyen-âge, on appliquait le supplice de la roue devant la populace effrayée qui s’en délectait pourtant. C’est sur cette estrade que fut décapité à l’épée Cinq Mars pour avoir conspiré contre Richelieu, et c’est ici que l’on dressa, à la révolution, la machine de Monsieur Guillotin qui étêta quelques centaines de nobliaux de la région, mais aussi pas mal de Girondins, à tel point qu’en 1792 le fossé débordait de sang à tel point que la Saône fut teintée de rouge pendant des semaines jusqu’au-delà de la cathédrale Saint-Jean. »
JP : « Et pourquoi ne me parles-tu pas des Romains et de Sainte Blandine qui frissonna d’effroi en traversant la place quand elle entendit le rugissement des lions affamés qui tournaient en rond dans leurs cages de l’amphithéâtre des trois Gaules ? Au lieu de rapporter des choses que tu n’as pas vues, rappelle-toi plutôt les foules de la fête des lumières réinventée, ces funambules cracheurs de feux qui courent sur une boule aussi haute que la mairie, ou encore l’an passé, ces personnages échappés du musée qui se renvoient la chansonnette en dansant sur les murs… de vieilles choses ? Peut-être, mais toujours vivantes ! »
VP : « Je ‘ai pas connu le passé que j’évoque et tu n’as pas connu non plus celui que tu me vantes puisque tu viens juste de quitter ton nid, bien à l’abri là-bas dans le clocher de l’église Saint-Nizier, mais mon devoir est de t’enseigner le passé, comme tu devras le faire à tes propres descendants. Les humains d’aujourd’hui l’ignorent le plus souvent, ou alors le déforment et l’arrangent à leur façon »
JP : « Voilà donc à quoi nous sommes réduits, nous les pigeons des villes, ergoter sur le passé et le présent pour tenter de savoir si c’était mieux avant ».
VP : « Tu fais encore erreur, mon petit pigeonneau. Vois-tu, le pigeon a toujours été voyageur. Nous sommes désormais sédentaires, c’est vrai, mais continuons à accomplir notre mission de messager car en transmettant la mémoire des lieux, nous sommes devenus des voyageurs du temps »
Philippe, Lyon 1er